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Décryptage des mesures du Nouveau Front Populaire

Cette page rassemble les analyses que je publie quotidiennement sur les mesures du Nouveau Front Populaire détaillées dans leur programme et son analyse macroéconomique. Je l’actualiserais tous les jours jusqu’à la fin des élections.

  1. Tarification progressive de l’eau
  2. Encadrement des prix immobiliers
  3. Impôt sur le revenu
  4. ISF vert
  5. Impôt sur l’héritage
  6. Taxer les superprofits
  7. Réglementer les prix des vols en avion
  8. Smic à 1600 €
  9. Suppression des niches fiscales polluantes
  10. Moratoire sur les grands projets autoroutiers
  11. Taxe sur les transactions financières
  12. Supprimer la flat tax
  13. Accompagner les reprises des entreprises en SCOP
  14. Rétablir l’exit tax
  15. La règle verte
  16. Un impôt minimum sur les multinationales
  17. Relancer la création d’emplois aidés
  18. Taxer les plus riches au niveau européen

« Passer à la gestion 100% publique de l’eau en régies locales : pour la gratuité des premiers mètres-cubes indispensables à la vie et la tarification progressive et différentielle selon les usages ». 

La gestion de l’eau peut être organisée en régie (gestion directe par la commune ou une organisation intercommunale), déléguée à un opérateur privé ou à une entreprise publique, ou un mixte des deux. Dans les années 1990, c’était la gestion privée de l’eau qui dominait en France, avec des promesses d’efficience et de baisse des prix. Mais depuis les années 2000, certaines villes font marche arrière, réalisant que le prix de l’eau est presque toujours plus élevé dans les communes privatisées que dans celles sous gestion publique. En 2020, la gestion publique de l’eau potable couvre presque la moitié de la population française, soit une augmentation de 22 % en 10 ans. 

Deuxième élément : la tarification progressive. Pourquoi payerait-on son eau au même prix pour faire son ménage ou remplir sa piscine privée ? Le politologue Paul Ariès parle de « gratuité de l’usage et le renchérissement du mésusage » (voir Gratuité vs Capitalisme, 2018). Faciliter l’accès à l’eau pour boire, se laver, cuisiner, et autres usages indispensables et limiter les activités moins essentielles comme le remplissage de piscines, les lavages de voitures, et l’arrosage de gazon. On parle aussi de « tarification sociale » quand ce système vise principalement les usagers les plus défavorisés. 

C’est déjà le cas dans plusieurs villes, dont Dunkerque depuis 2012 : la grille tarifaire de l’eau est divisée en trois tranches. La consommation « essentielle » (de 0 à 80 mètres cubes par foyer et par an) est facturée 1,28 € par m3. Passé ce seuil, « l’eau utile » (entre 81 et 200 m3) coûte 2,30 € et « l’eau de confort » (> 200 m3 annuel) coûte 3,10 € par mètre cube. Pour mettre en perspective : un Français consomme en moyenne 149 litres d’eau par jour, soit 54 m3 par an. La ville de Montpellier va encore plus loin : les quinze premier mètres cubes sont gratuits, puis 0,95 € de 16 m3 à 120 m3, 1,40 € de 121-240 m3, et 2,70 € à partir de 240 m3. De 2015 à 2021, 11 million de personnes avaient expérimenté ce système.

Pour les entreprises, on pourrait imaginer plusieurs grilles tarifaires en fonction des activités. Suivant la même idée du partage plus équitable entre usagers, une tarification préférentielle permettrait de faciliter l’accès à une eau peu chère pour la production de biens et services jugés indispensables tout en renchérissant l’eau utilisée par des activités moins essentielles. 

Ce que propose le Nouveau Front populaire, c’est d’accompagner ce mouvement de démarchandisation de l’eau. Des instances locales qui permettent des délibération démocratiques pour déterminer les bons usages et les mésusages (un mécanisme primordial en période de pénurie d’eau), ainsi qu’un système de prix sensible aux consommations et au pouvoir d’achat de chacun. 

« L’encadrement des loyers de manière obligatoire dans les zones tendues ainsi que des prix du foncier » 

Cette proposition vise à endiguer la montée des prix de l’immobilier tout en s’assurant d’un partage équitable de l’accès au logement. On entend par « zone tendue », une ville où il existe un déséquilibre entre l’offre et la demande de logement. Cela concerne aujourd’hui 1 434 communes sur 47 agglomérations. Dans ces zones, les propriétaires sont libres de fixer le loyer de leur choix lors de la première mise en location du logement mais il est ensuite, sauf exception, interdit de l’augmenter entre deux locataires. 

Encadrer les loyers consiste à fixer un loyer maximum que les propriétaires n’ont pas le droit de dépasser. Il a été expérimenté pour la première fois à Paris en 2015 et s’applique aujourd’hui à 24 villes s’étant portées volontaires dont Lyon, Bordeaux, et Montpellier. Chaque bien immobilier se voit attribuer un loyer de référence qui varie en fonction des caractéristiques du logement (type de location, nombre de pièces, superficie, localisation) avec un plafond fixé à 20 % de ce loyer de référence. Par exemple, un deux pièces non meublé à Paris dans le secteur Clignancourt est estimé à 24,9 €/m2 (loyer de référence) et donc plafonné à 29,9 €/m2

L’encadrement des prix du foncier appliquerait la même logique aux prix des terrains ou même des biens immobiliers. En effet, les prix des logements est 72 % plus élevé en 2019 que dix ans plus tôt alors que le revenu disponible par ménage n’a progressé que de 4 %. Pour sortir de cette spirale inflationniste, un prix de vente de référence serait estimé en fonction du prix d’achat initial, indexé sur l’indice de référence des loyers ou celui du coût de la construction. C’est déjà le cas à Montreuil (Seine-Saint-Denis) où le prix de vente est plafonné entre 4 000 et 7 000 euros le m2, avec une « clause anti-spéculative » interdisant pendant 10 ans la revente du logement à un tarif supérieur au prix d’acquisition.

Pour imaginer cette proposition de manière concrète, il suffit d’aller à Vienne où 60 % des résidents vivent déjà dans des logements dont les prix sont encadrés. Les prix y sont plus bas (le loyer moyen est 50 % moins cher à Vienne qu’à Amsterdam, 40 % en dessous de Rome, et 37 % inférieur au loyer moyen parisien) et la qualité des logements supérieure (Vienne est presque constamment numéro une des classement de qualité de vie urbaine).

« Accroître la progressivité de l’impôt sur le revenu à 14 tranches » 

L’impôt sur le revenu actuel comprend 5 tranches : 0 % jusqu’à 11 294 € de revenu annuel net imposable, 11 % de 11 295 € à 28 797 €, 30 % de 28 798 à 82 341 €, 41 % de 82 342 € à 177 106 €, et 45 % au-delà de 177 106 €. On le dit « progressif » car le taux d’imposition s’accroît avec l’augmentation du revenu, ce qui n’est pas le cas d’un impôt « proportionnel » comme la TVA ou la taxe carbone qui est le même pour tous les contribuables. L’impôt sur le revenu représente 27 % des recettes fiscales en 2023 (c’est 29 % pour la TVA et 18 % pour l’impôt sur les sociétés). 

Quelques ordres de grandeurs sur les inégalités. En termes de revenus, 4,7 millions de Français sont riches en 2021, c’est-à-dire gagnent plus de 3 860 € par mois après impôts, soit deux fois le niveau de vie médian (1 930 €) ou l’équivalent de 2,7 fois le Smic (1 390 €). Ces riches-en-revenus représentent 7,4 % de la population française, soit 4,7 million de personnes. Ce seuil correspond un peu près aux 10 % des individus aux revenus les plus élévés (6,4 million de personnne qui gagnent plus de 3 489 €), une portion de la population qui reçoit environ un quart de tous les revenus. 

De l’autre côté de la distribution, 4,8 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté en 2020 (965 € par mois/personne après impôts), soit 7,6 % de la population. Cette pauvreté est en légère augmentation, passant de 7,5 % de la population en 2000 à 7,6 % vingt ans plus tard (+ 500 000 personnes sur la période). Ces 10 % les plus pauvres ne reçoivent que 4 % de tous les revenus ; la parte monte à 30 % du revenu total lorsque l’on élargie la catégorie à la moitié la plus pauvre de la population. En gros, les 10 % les plus riches perçoivent un peu près le même volume de revenus que les 50 % des Français aux revenus les plus faibles (ceux qui gagnent moins de 1 930 € par mois).  

L’impôt sur le revenu est un mécanisme de redistribution monétaire. En 2020, le niveau de vie annuel moyen avant redistribution monétaire est de 60 720 € pour les 20 % les plus aisées, contre 7 070 € pour les 20 % les plus modestes, soit 8,6 fois moins. La redistribution abaisse ces inégalités de revenus à un ratio de 3,9 (elle augmente de 74 % le niveau de vie moyen des 20 % les plus pauvres et diminue de 21 % celui des 20 % les plus riches). 

Le Nouveau Front populaire propose de rendre l’impôt sur le revenu plus progressif en y ajoutant davantage de tranches. Il existe de nombreuses manières de le faire. Thomas Piketty (Le capital au XXIe siècle, 2013), par exemple, avait proposé une décomposition en 7 tranches allant de 10 à 90 %, chacune estimée en proportion du revenu moyen. On peut ajouter plus de palier pour les faibles revenus afin que la montée en imposition soit plus douce, et on peut ajouter des paliers au-delà de l’actuel taux maximal d’imposition de 45 % pour mettre davantage à contribution les hauts-revenus. 

« Rétablir un impôt de solidarité sur la fortune (ISF) renforcé avec un volet climatique »

L’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF) a été supprimé en 2017, pour être remplacé par l’Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI). L’ISF s’appliquait aux biens immobiliers mais aussi aux liquidités, meubles, titres financiers, contrats d’assurance vie, et objets précieux. Ce qui change avec l’IFI, c’est que désormais seulement la valeur des biens immobiliers est prise en compte. Le barème de l’IFI, qui n’a pas changé depuis l’ISF, se décompose en 6 tranches avec des taux progressifs allant de 0 % (patrimoine < 800 000 %) à 1,5 % (> 10 000 000 €). Comme l’ISF, il est plafonné en fonction du montant cumulé de tous les impôts afin qu’un ménage ne puisse pas payer plus de 75 % de ses revenus. 

Quelques ordres de grandeur sur les inégalités de patrimoine en France. Il faut qu’un ménage possède plus de 531 000 € brut (trois fois le patrimoine médian) pour être considéré comme un ménage riche-en-patrimoine (cela concerne 5,1 millions de ménages en 2021, soit 16,9 % des ménages). Les 10 % des ménages les plus fortunés (3 millions de ménages) possèdent plus de 716 300 € et le top 1 % (300 000 ménages) plus de 2,2 millions d’euros. Les millionnaires représentent 5 % des ménages. Le décile le plus fortunépossède 47 % du patrimoine total (c’était 41 % en 2010), soit un peu près la même chose que les 90 % restant de la population (la moitié la plus pauvre des ménages ne possèdent que 7,5 % du patrimoine total – c’était 9,4 % en 2010).

Vu que le périmètre de l’IFI est plus étroit que celui de l’ISF, les recettes fiscales sont moindres. En 2017, 360 000 ménages étaient redevables de l’ISF (1,1 % des ménages), alors qu’ils n’étaient plus que 133 000 un an plus tard (0,4 % des ménages). Le manque à gagner pour l’État est estimé à entre trois et cinq milliards d’euros par an. Par exemple, l’ISF a rapporté 4,2 milliards d’euros en 2017, contre 1,3 milliards pour l’IFI en 2018. Rétablir l’ISF augmenterait donc les recettes fiscales. Comme tout impôt progressif, sa force redistributive dépendra du choix du seuil d’éligibilité, de l’éventail des tranches, et de la progressivité des taux – des éléments qui pourraient tout à fait être modifiés.  

Pour le volet climatique, c’est l’économiste Jean Pisani Ferry qui avait lancé le débat sur « l’ISF vert » en proposant de financer la transition climatique avec un prélèvement exceptionnel de 5 % pendant une période de 30 ans sur le patrimoine financier des 10 % des ménages les plus aisés. Cela aurait un sens car l’empreinte carbone du patrimoine financier des 10 % des Français les plus riches (37 t/an/personne) est quatre fois plus élevé que l’empreinte carbone moyenne (9,2 t) et 12 fois plus élevé que l’empreinte du patrimoine financier de la moitié la plus pauvre de la population. 

Sources: Estimation du manque à gagner du passage de l’ISF à l’IFI ; proposition d’un ISF vert ; sur les inégalités de patrimoine en France ; sur l’empreinte carbone du capital.

« Réformer l’impôt sur l’héritage pour le rendre plus progressif en ciblant les plus hauts patrimoines et instaurer un héritage maximum » 

Actuellement, les héritiers bénéficient d’un héritage non-taxé de 100 000 € par enfant lors du décès d’un parent, de 15 932 € pour un frère ou une sœur, et de 1 594 € en l’absence d’un autre abattement applicable. L’impôt sur l’héritage s’échelonne ensuite en sept tranches avec des taux progressifs allant de 0 % (héritage en dessous de 8 072 €) et 45 % (> 1,8 millions d’euros). Cet impôt ne tient pas compte des dons effectués plus de 15 ans avant le décès (la moitié du flux successoral se fait au travers de dons). Les transferts entre personnes mariées ne sont pas imposés.

Si un peu plus de la moitié des ménages Français héritent au moins une fois au cours de leur vie (en moyenne à 50 ans), 87 % des héritages reçus sont inférieurs à 100 000 € et deux tiers des héritages sont inférieurs à 30 000 €. La grande majorité de la population ne paient donc pas de droits de succession. En 2020, les recettes fiscales de cet impôt s’élevaient à 12,5 milliards d’euros pour les successions et 2,5 milliards pour les donations. La moitié de ces montants proviennent de droits touchant à des successions en ligne indirecte, même si ceux-ci ne représentent que 10 % des sommes héritées. Le taux d’imposition effectif moyen pour l’ensemble des actifs transmis est de 5 %. 

Plus d’un quart des ménages fortunés (> 500 000 € de patrimoine net) reçoivent un héritage supérieur à 100 000 € et 1 % des héritiers reçoivent plus de 4,2 millions d’euros nets. L’héritage constitue un important facteur de reproduction des inégalités. Il représente 60 % de la fortune des 10 % les plus aisées (c’était 35 % en 1970). Il existe de nombreuses exemptions et exonérations qui permettent aux hauts patrimoines d’éviter à l’impôt (e.g., contrats d’assurance-vie, transmissions de biens professionnels, démembrement de propriété). Les 0,1 % les plus favorisés reçoivent en moyenne 13 millions d’euros et ne paient que 10 % de droits de succession pour l’ensemble du patrimoine hérité.  

« L’héritage maximum » est une proposition consistant à plafonner la somme maximale qui puisse être héritée. Le seuil est souvent défini en ratio du patrimoine médian (e.g. 100 fois le patrimoine médian, soit 18 millions d’euros). Ce serait l’équivalent d’ajouter une tranche supplémentaire à partir de laquelle chaque euro supplémentaire reçu en plus des 18 millions serait taxé à 100 %. 

Une autre proposition consiste à fixer un « héritage minimum ». Par exemple, le Conseil d’Analyse Économique avait proposé de garantir un capital pour tous, une somme de 10 000 à 40 000 € que toute personne recevrait à 18 ou 25 ans. Cette dotation serait financée par une augmentation des droits de successions sur les hauts patrimoines. Cela reviendrait à mutualiser une partie de la richesse héritée afin d’en assurer un partage plus équitable. 

Source: la note du Conseil d’Analyse Économique ; comprendre les droits de succession ; héritage et inégalités ; un article de l’Observatoire des inégalités sur l’héritage

« taxer les superprofits des agro-industriels et de la grande distribution »

On considère comme « superprofits » des bénéfices exceptionnels réalisés par des entreprises, non grâce à des innovations ou des gains de productivité, mais en profitant d’effets d’aubaine (guerre, pandémie, crise écologique, etc.). Ils apparaissent lorsque les marges des entreprises augmentent beaucoup plus rapidement que leur facteurs de production, et cela comparé aux bénéfices moyens observés pendant une période plus longue. 

Par exemple, alors que Total enregistrait un bénéfice annuel moyen de 6 milliards d’euros entre 2018 et 2020, ses bénéfices ont atteint 16 milliards d’euros en 2021, soit une hausse de 260 %, et cela grâce à la flambée des prix de l’énergie. De la même manière, les bénéfices de Carrefour (403 millions par an entre 2018 et 2020) ont bondi de plus de 400 % pour atteindre 1,7 milliards d’euros en 2021. En France, les 150 plus grandes entreprises ont enregistré un total de 80 à 90 milliards de superprofits en 2021. 

Les superprofits favorisent la concentration des richesses. En effet, 96 % des dividendes sont attribués à 1 % de l’ensemble des foyers fiscaux (400 000 ménages sur 40 millions) et cinq familles seulement possèdent 18 % des actions du CAC40 (l’état Français n’en possède que 2,2 %). Les ménages pauvres ne reçoivent souvent comme revenus que leurs salaires ; d’ailleurs, les 30 % des individus les plus riches perçoivent la moitié de tous les revenus, dont l’essentiel des dividendes. Les superprofits aggravent également la précarité car ils font pression sur le coût des dépenses incompressibles des ménages les plus modestes. C’est une sorte d’impôt inversé, une redistribution de revenus des plus pauvres (qui dépensent une grande partie de leur budget pour se déplacer, se chauffer, et se nourrir) aux plus riches (qui reçoivent des dividendes). 

Actuellement, les entreprises payent un « impôt sur les bénéfices » (aussi appelé impôt sur les sociétés) à 25 % (taux normal) ou 15 % (taux réduit pour certaines PME). Mais le système ne fait pas la différence entre des profits structurels (liés à une amélioration du processus productif) et conjoncturels (liés à un effet d’aubaine). Pour y remédier, il serait possible de créer une nouvelle tranche fortement taxée (entre 50 % et 90 %) qui ne s’appliquerait que lorsque les profits dépassent de manière significative les profits moyens des années précédentes.    

Une telle taxe avait déjà été proposée par la Commission européenne en 2022 (la « contribution de solidarité ») sous la forme d’un prélèvement supplémentaire de 33 % pour les entreprises du pétrole, du gaz, et du charbon dont les bénéfices en 2022 dépassaient de 20 % la moyenne des bénéfices générés au cours des quatre dernières années. Étendu à toutes les grandes entreprises européennes tout secteur confondu, une taxation progressive des superprofits de 20 à 40 % rapporterait 107 milliards d’euros à l’échelle de l’UE. 

« Réglementer les tarifs de desserte aérienne »

C’est la seule mention de l’aérien dans l’ébauche du programme du Nouveau Front populaire. Même si cette mesure se cantonne aux dessertes aériennes de l’outre-mer, j’en profite pour élargir la discussion à un problème plus général. En France un billet de d’avion coûte en moyenne 2,6 moins plus cher qu’un billet de train (c’est le plus grand ratio en Europe après le Royaume-Uni et l’Espagne)Une situation surprenante étant donné qu’un voyage en avion émet 20 à 50 fois plus de gaz à effet de serre que son alternative sur rail. 

C’est une défaillance de marché : les prix des billets d’avion ne reflètent pas leur coût environnemental, ce qui permet aux compagnies aériennes de vendre des billets à des prix artificiellement bas – par exemple, le Paris-Milan proposé à 25,49 € par EasyJet, 14,99 € par Ryanair ou 9,84 € par Wizz Air, l’équivalent de cinq tickets de métro. C’est un dumping écologique accompagné par des stratégies marketing agressives (des pubs pour les vols en avion que l’on retrouve d’ailleurs souvent dans les gares ferroviaires). 

Le train est certes cher mais le principal problème ici sont les prix anormalement bas de l’avion. Les compagnies ferroviaires paient des taxes sur l’électricité (à hauteur de 20 %), la TVA (qui est passée à 10 % au lieu de 7 % avant 2013), et des péages ferroviaires (ces derniers représentent près de la moitié du prix du billet). Sur un Paris-Milan en train à 278 €, on comptera 111 € de droits de péage et 27 € de TVA. Le même trajet en avion ne coûte que 122 € avec 0 € de TVA (les vols internationaux sont exonérés), 0 % de taxe sur le kérozène (les carburants des avions ne sont pas taxés), et seulement 26 € de taxes diverses (soit 22 % du billet). 

Le manque à gagner pour l’état français lié à ces avantages fiscaux est à estimé à 4,7 milliards d’euros en 2022. Une taxe de 0,38 € par litre (le seuil minimum proposé par la Commission Européenne) représenterait un gain de 2 milliards d’euros pour l’État français. Comprenons bien, l’important ici n’est pas tant les recettes fiscales mais l’incitation à voler. Selon certaines estimations, la demande des passagers aurait été 30 % moins importante sans les différentes niches fiscales qui réduisent artificiellement les prix des vols.   

Pour ajuster les prix de l’avion, plusieurs pistes pourraient être explorées, à commencer par un taux de taxe minimum sur le kérozène. Il faudrait aussi véritablement intégrer l’aérien dans le système européen d’échanges de quotas d’émission (les quotas sont pour l’instant gratuits) tout en s’assurant que le prix du carbone ne soit pas trop bas. Pour partager l’accès à l’avion de manière équitable, une mesure plus ambitieuse consisterait à introduire un « frequent flyer levy », une taxe progressive sur les billets (0 pour le premier vol par an, X € pour le deuxième, X+1 pour le troisième, etc.) qui viendrait remplacer l’actuelle « taxe de solidarité sur les billets d’avion ». 

Sources: Sur les émissions de l’aérien ; comparaison du prix du train avec celui de l’avion ; le calcul pour Paris-Milan ; sur le frequent flyer levy

« Augmenter les salaires par le passage du SMIC à 1600 € net »

Le Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance (Smic) existe depuis 1970. Il est « interprofessionnel » parce qu’il concerne toutes les branches d’activités et « de croissance » car son évolution est indexée à la hausse des prix à la consommation et sur la hausse du salaire ouvrier. Il est actuellement, et depuis sa dernière réévaluation en janvier 2024, fixé à 1 398 € nets pour 35 heures hebdomadaires, soit 9,22 € de l’heure. 

Quelques ordres de grandeur sur les inégalités de salaire : en équivalent temps plein, le salaire médian des salariés est de 2 012 € net (le salaire médian à temps de travail réel est de 1 612 €). Ce salaire médian est inférieur de 20 % au salaire moyen, ce qui traduit une plus forte concentration des salaires dans le bas de la distribution. Les 10 % des salariés les moins bien rémunérés touchent 1 366 €, soit plus de trois fois moins que les 10 % les mieux payés (> 4 010 €). Les 1 % des plus hauts salaires perçoivent 9 600 € net mensuels, l’équivalent de sept mois de salaire au Smic. Les cinq patrons d’entreprises françaises les mieux payés gagnent entre 13,7 millions d’euros par an (l’équivalent de 877 années de travail au Smic) et 33 millions (plus de 2 000 ans de travail au Smic).

En 2023, 17,3 % des salariés en France étaient payés au Smic, soit 3,1 millions de personnes. La proportion des bénéficiaires du Smic est plus marquée dans certains secteurs : 37 % des employés dans l’hébergement et la restauration et 19 % de ceux dans la santé humaine et l’action sociale sont payés au Smic (c’est 12 % pour l’économie dans son ensemble). 

Le Smic est aujourd’hui 2,5 fois plus élevé qu’en 1990. Hormis les revalorisations due à l’inflation, le Smic n’a pas connu de véritable augmentation depuis l’élection de François Hollande en 2012 (+ 0,6 %), et avant cela en 2006 (+ 0,3 %) et 2001 (+ 0,29 %). L’amener à 1600 € net constitue une augmentation de 14 %, soit 200 euros de plus. 

Quelles seraient les conséquences de telle hausse ? Personne ne sait vraiment. La hausse du pouvoir d’achat pourrait favoriser la consommation et donc les embauches, mais il y aura aussi un effet inverse : avec un coût du travail en hausse, les entreprises pourraient décider d’employer moins. Difficile de savoir quel effet l’emportera sur l’autre. Dans l’analyse macroéconomique du programme, le NFP propose de mettre en place quatre dispositifs pour protéger les entreprises vulnérables : des avances à 0 % sur 1 ou 2 ans, la reprise à 0 % de leurs charges financières par un fonds de solidarité, financement à 0 %, voire à taux négatif, de certains investissements, et des « mesures d’accompagnement financiers dégressifs et temporaires. 

Sources : quelques chiffres sur les salaires en France ; dernier rapport du groupe d’experts sur le Smic ; le chapitre sur les salaires dans le rapport sur les inégalités 2023 de l’Observatoire des Inégalités ; un article d’Alternatives Économiques sur les conséquences macroéconomiques d’une augmentation du Smic ; la proposition macroéconomique du NFP 

« Supprimer les niches fiscales polluantes » 

Les « niches fiscales » désignent des avantages en termes d’impôts dont bénéficient les contribuables sous certaines conditions – elles sont aussi appelées « dépenses fiscales » car elles induisent un coût pour le budget de l’État. Il en existe environ 470 en France pour un coût cumulé d’une centaine de milliards d’euros. Le programme du NFP propose de « supprimer les niches fiscales inefficaces, injustes, et polluantes ». Commençons par ces dernières : les niches antiécologiques représentent 7,9 milliards d’euros en 2024 selon la méthode de calcul du gouvernement (et jusqu’à 19 milliards avec des méthodologies plus strictes), une hausse de 350 millions par rapport à 2023. 

Il existe de nombreuses niches fiscales défavorables au climat. Le transport maritime et l’aviation sont exonérés du paiement de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques. Les vols en avion bénéficient d’un taux de TVA réduit de 10 % pour les vols domestique et de 0 % pour les vols internationaux. Le gazole non routier et le gazole agricole bénéficient de tarifs réduits, tout comme les carburants des poids lourds et des taxis, ainsi que le gaz et l’électricité de certaines grandes installations industrielles. Si 80 % des émissions de l’industrie sont couvertes par le marché européen du carbone, la majeure partie des quotas est toujours octroyée gratuitement, et cela jusqu’en 2026.

En élargissant la focale au-delà des émissions de gaz à effet de serre, on peut aussi mentionner le taux de TVA réduit pour les travaux de rénovation non énergétiques, des tarifs préférentiels de l’accise sur les énergies pour le secteur du BTP, l’exonération de taxe foncière pendant deux ans pour les constructions neuves, les réductions d’impôts sur le revenu en faveur de l’investissement locatif, et certaines exonérations de taxe d’aménagement. Toutes ces mesures incitent à la construction et donc accélèrent l’artificialisation des sols (137 658 ha consommés entre 2013 et 2019) toute en alourdissant notre empreinte matière et notre empreinte carbone.  

S’il faut au plus vite supprimer ces niches fiscales polluantes, ce n’est pas pour augmenter les recettes mais avant tout pour désinciter les activités qui alourdissent notre empreinte écologique. Nous taxons l’électricité des trains (à hauteur de 20 %) mais pas le kérozène des avions alors que le ferroviaire émet 20 à 50 fois moins que l’aérien. Nous incitons à construire plutôt qu’à rénover alors que la construction nécessite 40 à 80 fois plus de matériaux et émet 10 fois plus de carbone que la rénovation. Les règles fiscales actuelles font exactement le contraire de ce que l’on devrait faire : taxer les pollueurs et subventionner les alternatives moins intenses en ressources naturelles.   

Sources : une analyse d’Alternatives Économiques des niches fiscales antiécologiques ; un rapport d’I4CE sur les dépenses fiscales défavorables au climat 

« Décréter un moratoire sur les grands projets d’infrastructures autoroutières »

70 ans après le premier projet autoroutier en 1951, la France compte près de 11 677 km d’autoroutes, soit 1 % de toutes les routes. Depuis 1999, la longueur totale du réseau routier s’est accrue de 11,2 % et celle des autoroutes de 21,3 %. Actuellement, plus de 14 projets d’autoroutes sont en cours de négociation. 

Depuis la privatisation de 2006, le système autoroutier repose sur le régime de la concession. L’État reste propriétaire du réseau mais confie pendant plusieurs décennies le financement, la construction, l’exploitation et l’entretien des autoroutes à des entreprises privées qui perçoivent l’argent des péages qui représente 97,3 % du chiffre d’affaires du secteur autoroutier. La presque totalité du réseau est gérée par des entreprises privée, les 10 % restant, les autoroutes non concédées sans péage, appartiennent à l’État. 

Trois groupes (Vinci, Eiffage, et Abertis) représentent plus de 91 % du chiffre d’affaires du secteur (une dizaine de milliards en 2021). En 2006, la cession des autoroutes avait rapporté 22,5 milliards d’euros à l’État. En 2023, le total des bénéfices engrangés sur l’année dépasse les 4 milliards d’euros. Les dividendes cumulés du groupe Vinci devraient être de 20,7 milliards d’euros d’ici 2036. C’est 22,3 Mds pour APRR et AREA, soit quatre fois le coûts d’acquisition en 2006 (6,7 Mds). 

Construire une autoroute est lourd de conséquences écologiques. Il faut bien sûr produire du bitume, et donc extraire tous les matériaux nécessaires à sa production. Il faut aussi artificialiser des zones humides, des terres agricoles et naturelles, et abattre des arbres. Le Conseil national de protection de la nature avait d’ailleurs émis un avis défavorable à propos du projet de l’A69, un projet « en contradiction avec les engagements nationaux en matière de lutte contre le changement climatique, d’objectif du zéro artificialisation nette et du zéro perte nette de biodiversité ».

Les autoroutes permettent de rouler plus vite que sur les nationales, ce qui augmente les émissions et la pollution. Rouler à 110 km/h plutôt qu’à 130 permet d’économiser plus de 20 % de consommation avec seulement 10 minutes de trajet d’écart sur 100 kilomètres. Il existe aussi un effet rebond au niveau des distances parcourus : plus il y a d’infrastructures autoroutières, plus on se déplace vite, et plus on a tendance à voyager loin, et donc à polluer. 

Plus généralement, les infrastructures routières viennent faciliter – et donc indirectement inciter – l’usage des modes de transport les plus carbonés, dont les voitures et les camions (les bus et cars ne représentent que 0,3 % du trafic). Alors que les émissions des transports représentent le premier poste d’émissions territoriales (32 % en 2022) et que 72 % des trajets en voiture sont inférieurs à 10 km, se lancer dans de nouveaux projets autoroutiers est une stratégie de mobilité archaïque. 

Sources : un article d’Aurélien Bigo sur les autoroutes et le climat ; un FAQ utile sur les concessions ; recensement des projets d’autoroutes ; un rapport du Sénat sur la rentabilité des autoroutes ; étude de l’Ademe sur l’impact des limitations de vitesse 

« Taxation renforcée des transactions financières »

Comme dans plus d’une trentaine de pays au monde, il existe en France une taxe sur les transactions financières (TTF) depuis 2012, aussi appelée « taxe Tobin » après l’économiste James Tobin qui popularisa l’idée en 1972. Son principe est simple : une micro-taxe qui s’applique sur les transactions financières à un taux très faible pour freiner la spéculation à court terme sans pour autant pénaliser les investissements à long terme. 

La taxe existante est une version extrêmement réduite car elle ne s’applique qu’à trois types de transactions : les ordres annulés dans le cadre d’opérations à haute fréquence (non effectif dans son design actuel), les achats à nu de CDS souverains (qui ont été interdits depuis), et les acquisitions de titres de capital ou assimilés. La taxe ne s’applique qu’aux actions de 121 grandes entreprises dont le siège social est situé en France et dont la capitalisation boursière dépasse 1 milliard d’euros. 

Elle est fixée à 0,3 % du prix d’achat des titres financiers et prélevée sous la forme d’une retenue directe à la source par l’opérateur gestionnaire du compte lors de l’acquisition des titres. En 2022, la taxe a rapporté 1,5 milliards d’euros (une partie des revenus – 528 millions d’euros – est systématiquement fléchée vers le fonds de solidarité pour le développement et le reste va au budget général). Est-ce que cette taxe fonctionne ? Non, selon un rapport de la Cour des comptes : « aucun des trois objectifs stratégiques qui lui avaient été assignés n’a été atteint ». 

Il existe plusieurs manières de la renforcer. Si seulement un tiers des transactions financières sont aujourd’hui concernés par la taxe, on pourrait élargir son assiette à un spectre plus large d’opérations financières : transactions intrajournalières (qui recouvrent 70 % des transactions et l’intégralité des activités de trading à haute fréquence), produits structurés et les dérivés, ainsi que les opérations de change (le plus gros marché en volume). 

En 2013, la Commission Européenne avait proposé une taxe de 0,1 % sur les actions et produits structurés et de 0,01 % sur les produits dérivés, qui s’appliquerait à toutes les transactions financières à l’exception des transactions de change au comptant (10,8 Mds de recettes estimés par an en France). La taxe proposée par ATTAC va plus loin en couvrant toutes les transactions y compris celles de change (15,8 Mds). Le programme du NFP estime les recettes de la FTT renforcée à 3 Mds, soit le double de ses recettes actuelles. 

On pourrait aussi augmenter son taux. Il est d’ailleurs déjà passé en de 0,1 % initialement à 0,2 % en 2012 et puis à 0,3 % en 2017, sans impact significatif sur la liquidité des actions ou la volatilité. On pourrait l’amener à 0,4 %, ou même à 0,5 % (le taux actuel de la TFF britannique qui rapporte environ 5 Mds par an). Une TFF étendue aux transactions intrajournalières à 0,5 % rapporterait 1,6 fois plus qu’une même taxe à 0,3 %. 

Sources : un article de Gunther Capelle-Blancard sur la TFF ;un article de synthèse d’ATTAC, l’organisation spécialiste du sujet ; un article de synthèse d’Oxfam ; estimation des revenus de la FTT en France ; un rapport de la cour des comptes de 2017 

« Supprimer la flat tax » 

Le Prélèvement Forfaitaire Unique (PFU) ou « flat tax » est un impôt créé en 2018. Il s’applique aux revenus de l’épargne et du capital hors immobilier, c’est-à-dire les intérêts, dividendes, placements à revenu fixe, l’assurance-vie, certains plans et comptes épargne logement, ainsi que les plus-values de cession de valeurs mobilières, c’est-à-dire le gain réalisé sur la vente de titres financiers. Son taux global est de 30 %, décomposé en 17,2 % de prélèvements sociaux et 12,8 % d’impôt forfaitaire. On dit qu’il est « forfaitaire » car le prélèvement est une somme fixe, à la différence d’un impôt proportionnel ou progressif. 

L’idée derrière la réforme de 2018 était de baisser la fiscalité du capital en espérant dynamiser l’investissement et donc l’activité et l’emploi. C’est l’hypothèse dite du « ruissellement » qui consiste à faciliter l’accumulation des richesses pour les plus fortunés en espérant que cette manne ‘ruisselle’ vers le bas de la distribution. Pour l’instant, les travaux de recherche sur le PFU n’ont pas détecté d’impact significatif sur l’investissement, l’emploi, et les salaires. 

En réalité, l’introduction du PFU a principalement bénéficié aux plus riches. Si elle n’a rien changé pour les petits épargnants, qui restent éligibles aux deux premières tranches de l’impôt sur le revenu (0 % et 11 %), elle a réduit les impôts de ceux qui se situaient dans les tranches supérieures de l’impôt sur le revenu (30 %, 41 %, 45 %) et qui pouvaient désormais choisir d’être imposé à un taux forfaitaire de 12,8 %. À partir de plus de 28 797 € de revenu net annuel net (le seuil de la troisième tranche du barème), il devient moins coûteux d’opter pour le PFU. Le manque à gagner pour l’État est de l’ordre de 1,8 milliards d’euros sur la période 2018-2022.

Le problème des impôts forfaitaires en général, c’est qu’ils ne tiennent pas compte des niveaux de vie. Ils ne réduisent donc pas les écarts de revenus et augmentent les inégalités relatives. Si les revenus en général sont assez concentrés (les 30 % les plus riches reçoivent la moitié de tous les revenus), les revenus du capital le sont de manière extrême. 1 % des foyers fiscaux (400 000 foyers sur 40 millions) concentrent 96 % des dividendes déclarés (c’est 62 % pour les 0,1 % des foyers) 70 % des montants de plus-values mobilières sont déclarés par 0,01 % des foyers fiscaux (4 000 foyers qui perçoivent chacun plus de 1 million d’euros par an). 

En supprimant la flat tax, les revenus du capital seraient à nouveau imposés de la même manière que les revenus du travail, c’est-à-dire avec le barème progressif de l’impôt sur le revenu. Cela voudrait dire que les ménages les plus fortunés s’acquitteraient d’un impôt plus important sans que cela ne change quoi que ce soit pour les petits épargnants, une mesure donc parfaitement alignée avec l’objectif général de réduction des inégalités que l’on retrouve dans le reste du programme. 

Sources : un policy brief de l’OFCE qui estime l’impact du PFU ; un article de l’Observatoire des Inégalités sur l’impacts de différents types d’impôts sur les inégalités ; le rapport de France Stratégie sur la fiscalité du capital ; sur les inégalités de revenus en général 

« Accompagner les reprises des entreprises en SCOP par les salariés »

Une SCOP (Société coopérative et participative) est une société coopérative de forme SA, SARL ou SAS dont les salariés sont les associés majoritaires et le pouvoir y est exercé démocratiquement. Les salariés détiennent au moins 51 % du capital social et 65 % des droits de vote. Chaque salarié associé dispose d’une voix, quel que soit son statut, son ancienneté et le montant du capital investi.Les salariés élisent le dirigeant pour un mandat de 4-6 ans et décident ensemble de comment répartir le bénéfice entre la participation salariale (au moins 25 %), les réserves d’entreprise (au moins 16 %), et les dividendes (33 % maximum). Le rachat de parts sociales s’effectue à la valeur nominale de la souscription, sans possibilité de plus-value. 

La SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif) est un autre modèle de société coopérative qui inclue un panel plus large de parties prenantes (clients, fournisseurs, bénévoles, collectivités territoriales, associations, partenaires privés, etc.). Comme pour la SCOP, tous les associés disposent d’un droit de vote égal. Autre spécificité : au moins 57,5 % des bénéfices sont mis en réserves dites « impartageables » pour consolider les fonds propres de l’entreprise (c’est 43 % en moyenne pour les SCOP). 

En 2023, il y avait en France 4 495 SCOP et SCIC, couvrant 84 294 emplois pour 9,4 milliards de chiffre d’affaires. La SCOP moyenne compte une vingtaine de salarié et la moitié d’entre elles se trouve dans le secteur des services. Le taux de pérennité à 5 ans est de 79 %, légèrement plus haut que pour l’ensemble des entreprises françaises (61 %). 21 % des créations de SCOP sont des transmissions d’entreprises, 11 % des transformation d’association ou de coopérative, et 68 % des créations ex nihilo. 

Ce régime d’entreprise bénéficie de plusieurs avantages. Elles bénéficient d’une exonération partielle de l’impôt sur les sociétéscorrespondant aux bénéfices distribués aux salariés au titre de la participation salariale. Elles peuvent déduire de la base imposable certains sommes réinvesties. Elles sont exonérées de la contribution économique territoriale et ont un droit de préférence pour les appels d’offre.

Il faudrait maintenant faciliter leurs accès aux financements. On pourrait imaginer la création d’un fonds national dédié à la reprise d’entreprises par les salariés qui viendrait uniformiser l’accès aux dispositifs régionaux existants (subventions, prêts personnels, avances remboursables, garanties financières). Ce fond accompagnerait les salariés, par exemple en apportant un abondement du capital à hauteur d’1 € pour 1 € investi, et en proposant des avances remboursables sur 5 à 7 ans. Ce fond viendrait également protéger l’investissement des salariés associés à la même hauteur que pour les autres investisseurs en mettant en place des lignes de garanties du capital injecté.  

Sources : Le site incontournable pour tout comprendre sur les SCOP et les SCIC ; un article d’Alternatives Économiques sur les SCOP ; un livre de la sociologue Anne-Catherine Wagner ; quelques propositions de Timothée Duverger et Christophe Sente pour aller vers une « république du travail » 

« Rétablir l’exit tax »

Le débat sur la taxation des plus riches fait toujours face à un obstacle : celui de les voir partir s’installer ailleurs pour éviter l’impôt. Mais il existe un dispositif pour contre cet exil fiscal : l’exit tax (ou « taxe à la frontière ») est un impôt qui vise à dissuader les contribuables de s’expatrier avec pour seul objectif de vendre les titres de sociétés cotée ou non cotée qu’ils détiennent (actions, parts sociales, obligations, etc.) une fois installés dans leur nouvel Etat de résidence, Etat où il y a généralement peu ou pas de fiscalité. 

Instaurée en 1999, abrogée en 2005 pour non-conformité au droit européen, ce dispositif a été remis en place en 2011 dans une version compatible sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Emmanuel Macron avait annoncé vouloir la supprimer en 2018, mais le gouvernement ne l’avait finalement qu’assoupli en 2019 (la durée d’application de la taxe avait été réduite de 15 ans à 2 ans). Fin 2022, l’Assemblée nationale avait voté son rétablissement dans son design initial mais cet élément n’a pas été retenu dans le projet de loi final après un recours à l’article 49.3. D’où la proposition du Nouveau Front Populaire de la rétablir telle qu’elle existait auparavant.   

Dans son design actuel, les plus-values latentes (e.g., la différence entre la valeur des titres concernés à la date du transfert hors de France et leur valeur d’acquisition) et les créances soumises à l’exit tax sont imposables soit au Prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 % (12,8 % au titre de l’Impôt sur le Revenu et 17,2 % pour les prélèvements sociaux), soit au barème progressif de l’impôt sur le revenu. 

Elle s’applique aux personnes ayant été résident fiscal français pendant au moins 6 ans au cours des dix dernières années et qui possèdent plus de 800 000 € de valeurs mobilières (ou représentant au moins 50 % des bénéfices sociaux d’une société). Les personnes qui s’impatrient en France et repartent après quelques années seulement ne sont donc pas concernées, tout comme ceux qui possèdent moins de 800 000 € de titres. 

Si ces personnes désirent se domicilier fiscalement dans un autre pays, elles se doivent de déclarer les plus-values latentes accumulées sur les titres composant leur patrimoine. Ces plus-values seront ensuite imposées en France lorsque si ces titres seront vendus. L’idée derrière cette mesure est de prendre en compte le rôle des infrastructures matérielles et immatérielles fournies par la collectivité aux entrepreneurs (e.g., éducation, santé, transports, aides aux entreprises) tout en évitant le « dumping fiscal », une situation de concurrence internationale où les pays s’efforcent d’attirer des capitaux en proposant une fiscalité plus basse que leurs voisins. 

« Inscrire le principe de la règle verte »

L’idée d’une « règle verte » remonte au programme de LFI aux présidentielles de 2012. Elle consiste à « ne pas prélever sur la nature plus de ressources renouvelables que ce qu’elle peut reconstituer, ni de produire plus que ce qu’elle ne peut supporter sur une année », selon la formulation d’un amendement déposé par un groupe de députés. C’est un jeu de mot qui fait un pied-de-nez à la « règle d’or budgétaire », l’obligation des États membres de respecter certaines limites de déficit public. 

Cette idée a une longue tradition en économie écologique depuis les années 1970. C’est les trois règles de l’économiste américain Herman Daly : (1) la consommation de ressources renouvelables ne doit pas excéder le taux de régénération des ressources, (2) le taux de consommation des ressources non renouvelables ne doit pas excéder le rythme auquel des substituts renouvelables peuvent être mis en place, et (3) la pollution ne doit pas excéder le rythme auquel les systèmes naturels peuvent les absorber, les recycler ou les neutraliser.

On parle de soutenabilité ou de durabilité pour décrire une situation où l’empreinte environnementale d’une communauté ne dépasse pas la biocapacité des écosystèmes, c’est-à-dire la capacité d’un milieu naturel à reconstituer ses réserves et à absorber des déchets. On parle d’insoutenabilité quand l’empreinte dépasse la biocapacité. On parle aussi de « limites planétaires », un cadre conceptuel qui présente la soutenabilité comme le non-dépassement d’un certain nombre de seuils.

Le programme vise à inscrire ce principe dans la législation. La règle verte deviendrait un critère d’évaluation pour l’ensemble des politiques publiques, au même titre que la règle d’or budgétaire. Cela constituerait une véritable avancée juridique par rapports aux règles environnementales actuelles qui restent parcellaires, souvent floues, et qui deviendrait plus cohérentes si elles étaient rassemblées sous un grand principe directeur. Certains proposent même la création d’une Agence européenne de la règle verte, qui serait responsable d’évaluer toutes les politiques publiques au sein de l’union.

En pratique, cela nécessite de fixer une limite à la quantité de ressources qui peuvent être consommées dans chaque pays. C’est déjà le cas en France pour les gaz à effets de serre qui sont limités, du moins en théorie, par un budget carbone inscrit dans la loi. Et aussi pour l’artificialisation des sols avec la stratégie Zéro Artificialisation Nette qui – encore une fois en théorie – fixe un seuil maximum d’hectares artificialisable. Pour que le bouclage écologique soit complet, il faudrait maintenant introduire des stratégies similaires pour plafonner les prélèvements d’eau, l’extraction de métaux et de matériaux, la pollution de l’air, l’érosion de la biodiversité, etc.

Sources : un article de Socialter ; l’ouvrage de référence d’Herman Daly ; l’amendement sur la règle verte déposé en 2018

« Impôt sur les bénéfices des multinationales » 

C’est un argument qui revient souvent : si un pays taxe davantage les entreprises, celles-ci délocaliseront leurs profits dans un pays à la fiscalité plus légère. Mais cette concurrence fiscale est un nivellement par le bas qui permet à terme aux grande entreprises d’échapper à l’impôt. Alors que le taux nominal moyen d’imposition des bénéfices était de 40 % en 1980, il est descendu à 24 % en 2019. En Europe, il est passé de 32 % en 2000 à 21,9 % en 2018. 

Pour l’éviter, certains économistes proposent d’instaurer de manière coordonné entre pays un taux d’imposition minimum sur les bénéfices des multinationales (souvent appelé « impôt Zucman » en France après les travaux de l’économiste Gabriel Zucman). 

En 2022, les firmes du monde entier ont réalisé 16 000 milliards de profits, dont 2 800 Mds dans des entités situées en dehors de leur territoire d’origine. Parmi ces dernières, 1 000 Mds de bénéfices ont été enregistrés dans des paradis fiscaux. Ce transfert de bénéfices entre pays entraînent chaque année une perte de recettes de 100 à 240 milliards d’USD pour les pays concernés, soit 4 à 10 % des recettes mondiales de l’impôt sur les sociétés. 

Entre 2017 et 2020, le taux effectif médian d’imposition des multinationales est de 16,4 % et 48,8 % de tous les profits est taxé à moins de 15 %. Plus d’un tiers des bénéfices totaux sont soumis à des taux inférieurs à 15 %. Il y a 35 pays dans lesquels le taux d’imposition médian est inférieur à 5 % et une quarantaine de paradis fiscaux, des pays comme l’Irlande, le Luxembourg, et Monaco où le taux médian est de 1,6 %. Les profits des multinationales sont donc en général moins taxés que les autre entreprises (le taux normal d’impôt sur les sociétés en France est passé de 33 % à 25 % en 2022).  

Depuis le 1er janvier 2024, un taux minimum d’imposition de 15 % est en vigueur dans 27 pays de l’Union Européenne (l’accord a été ratifié par 140 pays). Elle concerne les entreprises installées dans l’UE réalisant un chiffre d’affaires d’au moins 750 millions d’euros par an. Les sociétés dont le taux d’imposition est inférieur à 15 % devront payer un impôt complémentaire à l’impôt sur les sociétés. Par exemple, une entreprise française qui délocalise son siège social en Irlande pour y enregistrer ses profits taxés à 5 % devra s’acquitter d’une taxe supplémentaire de 10 %. Cela évite le dumping fiscal : l’Irlande n’a aucun intérêt à ne pas appliquer le taux minimal car, dans ce cas, les profits seront taxés, non pas en Irlande, mais en France. 

La loi de finances pour l’année 2024 transpose au niveau national ce dispositif, qui concernera les entreprises multinationales implantées en France à partir de 2026. L’analyse macroéconomique du programme estime les recettes à 26 milliards d’euros. 

Sources : deux articles de présentation générale, 1 et 2 ; un article sur les impôts véritablement payés par les multinationales ; pour découvrir les travaux de Gabriel Zucman ; mise en place de la taxe européenne ; le Global Tax Evasion Report 2024 (avec une synthèse d’Alternatives Économiques)

« Relancer la création d’emplois aidés » 

Un « contrat aidé » permet à l’employeur de bénéficier d’aides pour diminuer le coût de l’embauche d’une personne rencontrant des difficultés particulières pour accéder à l’emploi (jeunes, séniors, personnes en situation de handicap, demandeurs d’emploi de longue durée). Le premier dispositif de contrats aidés date de 1984 (les « travaux d’utilité collective ») qui avait pour objectif de lutter contre la montée du chômage des jeunes. Les aides peuvent durer jusqu’à 24 mois et prennent la forme de subventions à l’embauche, d’exonérations de certaines cotisations sociales, et d’aides à la formation (les emplois aidés sont pris en charge à hauteur de 46-57 % du Smic horaire). 

Petit rappel sur la situation de l’emploi en France. Début 2024, le taux de chômage au sens du Bureau international du travail s’établit à 7,5 % de la population active en France, soit 2,3 millions de personnes. 75 % des chômeurs le sont depuis au moins 1 an, 59 % depuis moins de 6 mois, et 25 % depuis plus d’un an, les chômeurs dits « de longue durée ». Les jeunes sont particulièrement touchés par le chômage : 16,7 % pour les 15-24 ans. 

Il existe plusieurs catégories d’emplois aidés que l’on peut diviser en deux grandes familles : les « contrats uniques d’insertion » (CUI-CIE) dans le secteur marchand et les « parcours emploi compétence » (PEC) dans le secteur non marchand. En 2022, 60 % des 127 500 nouveaux contrat aidés se trouvaient dans le secteur non marchand et 40 % dans le secteur marchand. Un bénéficiaire sur deux est âgé de moins de 26 ans. Les secteurs de l’hébergement et de la restauration, ainsi que celui du commerce et de la réparation automobile représentent 50 % des nouveaux contrats en 2022.  

Alors que le nombre d’entrées en contrat aidé oscillait autour de 400 000 entre 2011 et 2016, ils sont redescendus vers 150 000 entre 2018 et 2022. On comprend ici l’idée derrière cette mesure du NFP : inverser cette tendance baissière pour relancer la création d’emplois aidés.  

Pour la direction générale de l’emploi DGEFP), « les contrats aidés sont un des outils les plus efficaces pour diminuer à court terme le chômage ». La facture globale des contrats aidées en 2017 s’élevait à 2,4 milliards, une somme que l’on doit comparer aux autres politiques de l’emploi (36 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales et 22,7 milliards pour le crédit d’impôt compétitivité emploi). Le coût d’un emploi aidé s’élève à 11 000 € par an et par jeune (c’est 9 500 € pour un PEC et 7 000 € pour un CUI-CIE), alors que le coût d’un emploi créé à travers le Cice est estimé entre 286 000 et 570 000 €. Dit autrement, les emplois aidés sont un dispositif de création d’emplois entre 26 et 51 fois moins cher que le Cice.  

Sources : le chômage en France ; rapport de la Dares sur les emplois aidés ; article de synthèse d’Alternatives Économiques ; sur la situation de l’emploi en général 

« Taxer les plus riches au niveau européen » 

Cette mesure du NFP reprend la proposition de l’initiative citoyenne « Tax the rich » lancée en octobre 2023. Celle-ci propose l’introduction d’une « taxe sur la richesse excessive » (excess wealth tax), un impôt européen sur les grandes fortunes dont les recettes seraient destinées à la lutte contre le changement climatique et la réduction des inégalités. 

Le design de la taxe est inspiré de la « Impuesto Temporal de Solidaridad de las Grandes Fortunes », une mesure temporaire instaurée en Espagne par le gouvernement socialiste de Pedro Sanchez en 2023. L’impôt espagnol s’échelonne en trois tranches : 1,7 % à partir de 3 millions d’euros de patrimoine, 2,1 % après € 5 millions, et 3,5 % au-delà de € 10 millions. Pour pouvoir l’adapter à différents pays, la nouvelle mesure fixe ses tranches sur des seuils de richesse relative (1,7 % pour le top 0,5 %, 2,1 % pour le top 0,1 %, et 3,5 % pour le top 0,05 %). En France, par exemple, cela donnerait trois seuils : 3,6 millions, 8,9 millions, et 14,7 millions d’euros.  

Pour contextualiser, les 0,5 % les plus riches possèdent actuellement 19,7 % de toutes les richesses à l’échelle de l’Union Européenne, soit près de six fois plus que la richesse cumulée de la moitié de la population la plus pauvre. En France, les 10 % les plus riches (les 3 millions de ménages qui possèdent plus de 700 000 € de patrimoine) détiennent 47 % du patrimoine total, soit un peu près la même richesse cumulée que les 90 % restant de la population. La moitié la plus pauvre des ménages (ceux qui possèdent moins de 177 000 € de patrimoine) ne détient que 7,5 % du patrimoine total. 

À l’échelle de l’Europe, cette taxe pourrait récolter 213 milliards d’euros, l’équivalent de 1,35 % du PIB Européen ou environ 1 083 € par foyer. À l’échelle de la France, elle rapporterait entre 45 et 48 milliards d’euros, environ 1,75 % du PIB français, soit 1 652 € par ménage. Les recettes de cette taxe représenteraient 14 % des recettes fiscales nettes du budget de l’État français. À elle toute seule, elle permettrait de financer un quart des 182 milliards d’euros par an nécessaire pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. 

Est-ce que cette taxe va véritablement peser sur la richesse des grandes fortunes ? Pas vraiment. La fortune des 5 % des individus les plus riches a augmenté de 35 % cette dernière décennie. Vu que le barème d’imposition (de 1,7 % à 3,5 %) est bien en dessous du taux de croissance de leur capital, cette taxe ne ferait que ralentir leur enrichissement. Cette taxe ne concernerait d’ailleurs qu’une infime partie de leur fortune, seulement la partie excessive qui dépasse les 3,6 millions d’euros. Rappelons que le seuil de richesse en France est fixé à 500 000 € et qu’il faut posséder plus de 2,2 millions d’euros pour rentrer dans le club des 1 % les plus riches, ce qui ne concerne que 300 000 ménages. 

Sources : L’initiative citoyenne “Tax The Rich” ; le rapport du groupe des Verts/ALE, « Tax the Rich : from slogan to reality » ; sur les inégalités économiques en France ; estimation des coûts d’investissement pour la lutte contre le changement climatique