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L’utopie de la décroissance

Le texte suivant est la transcription d’une conférence intitulée “L’utopie de la décroissance” donnée le 29 mars 2023 à TEDxParisDauphine. L’enregistrement de la conférence est disponible ici.

Chacun son truc. Certains aiment croire aux OVNIs, d’autres au monstre du Loch-Ness. Il y aussi l’astrologie, la voyance, les reptiliens, le platisme… Et puis il y a la légende de la croissance verte. Celle là, elle fait fureur chez les économistes. C’est une théorie qui dit que : on peut produire toujours plus tout en polluant toujours moins. Pas besoin de se limiter car – magie magie – la croissance des pays riches serait devenue sobre, dématérialisée, propre. En un mot : verte. Cette histoire, on l’entend partout aujourd’hui. Seul problème : c’est faux.

Beaucoup font l’erreur de penser que transition écologique = décarbonation. Mais, en fait, il faut réduire, non seulement les émissions, mais aussi pleins d’autres pressions environnementales : consommation d’eau, extraction de matériaux, usage des sols, pollution de l’air, pollution de l’eau, impacts sur la biodiversité, production de déchets, etc. 

Pour l’instant, aucune économie au monde n’a réussi à baisser son empreinte écologique totale tout en faisant croître son économie. Cette empreinte écologique ne s’arrête pas aux frontières. C’est un peu facile de « verdir » l’économie française si on délocalise toutes les industries les plus polluantes à l’étranger – d’ailleurs, pour les gaz à effet de serre, les émissions importées représentent la moitié de l’empreinte carbone du pays. Il faut que cette baisse de l’empreinte écologique soit suffisamment importante et suffisamment rapide, sinon ça marche pas. 

Les seuls moments où il y a eu des réductions ambitieuses, c’était pendant des récessions, ce qui montre bien que, quoi que l’on arrive à réduire en période de croissance, on pourrait le réduire bien plus vite si l’on venait ralentir les activités économiques en parallèle.      

Cette théorie est non seulement scientifiquement fausse mais politiquement dangereuse. La croissance verte, c’est LE discours climato-rassuriste du moment. C’est une sorte de greenwashing macroéconomique qui permet aux pays riches de se dédouaner de leur responsabilité vis-à-vis des crises écologiques. Et c’est devenu une carte joker que les entreprises et les gouvernements utilisent à foison pour justifier leur inaction. « Pas besoin d’agir, l’économie est déjà en train de se verdir. Vous inquiétez pas, ça arrive ». Sauf que : ça n’arrive pas. Après, chacun ses croyances. Mais si t’es au lit avec 40 de fièvre à attendre que le père Noël t’amène des médicaments, tu vas être déçu. 

Croissance sobre, croissante bas-carbone, croissance verte. Les économistes n’arrêtent pas de parler de croissance, mais ils expliquent jamais ce que c’est. Si je vous dis « croissance », vous allez me dire « progrès / innovation / bonheur », mais c’est pas ça la croissance. La croissance économique, c’est juste l’augmentation du PIB. Le PIB (Produit Intérieur Brut) est un indicateur d’agitation monétaire, sorte de podomètre géant qui compte les euros produits dans une économie. En gros, plus on vend de biens et services, plus le PIB augmente. 

Par exemple, un publicitaire reçoit un salaire (PIB !) pour concevoir des pubs qui incitent à la consommation de burgers (PIB !) qui génère des troubles de santé qui doivent être traités par un médecin (PIB !) qui vous recommandera d’acheter des médicaments (PIB !) que vous irez acheter en voiture (PIB !).

Le problème, c’est que le PIB ne fait pas la différence entre le néfaste et le désirable. C’est une calculette avec une grosse touche « + », c’est tout, ce qui ne permet pas vraiment de mesurer la qualité de ce qui est produit et encore moins le bien-être qu’on en retire. Mesurer la prospérité en points de PIB, c’est aussi absurde que de mesurer le bonheur en km.

Imaginons qu’on n’ait pas de fait de pub. On se serait pas gavé de burgers, on serait pas tombé malade, on aurait dégorger les salles d’attente des médecins, évité un trajet en voiture et la production de médicaments, le publicitaire aurait pu faire un truc plus utile de son temps. En gros : on serait en meilleur santé sans avoir besoin de trouver l’argent pour payer, non seulement les burgers, mais aussi pour financer tous les problèmes qui vont avec. On aurait moins de points de PIB, mais on serait dans une meilleure situation. 

La croissance, c’est comme un tapis de course. On a l’impression d’avancer, mais, en fait, on s’épuise à faire du surplace. On épuise nos écosystèmes et on s’épuise nous-même, tout ça pour des points de PIB qui ont perdu toute correlation avec la qualité de vie dans des pays déjà-riches qui s’entêtent encore à vouloir faire grossir leur économie. 

Donc la vraie question, c’est pas : « Comment verdir la croissance ? », c’est plutôt « avons-nous vraiment besoin de continuer à croître ? » et « comment pouvons-nous découpler bien-être et pressions environnementales ? ». Vous préférez avoir une économie de croissance qui cherche aveuglement à accumuler des points d’PIB ou bien plutôt une économie du contentement qui cherche directement à améliorer le bien-être ? 

Alors là, normalement, c’est le moment où je me fais insulté de zadiste anti-progrès, punk-à-chieniste rétrograde, collapso-communiste. Ou pour faire court : de décroissant.  Ça tombe bien, j’ai écrit une thèse sur le sujet alors je vous ai amené une définition.   

Décroissance: concept utilisé pour critiquer l’hégémonie de la croissance et affirmer la nécessité d’organiser [attention c’est là que la définition commence] : une réduction de la production et de la consommation pour alléger l’empreinte écologique planifiée démocratiquement dans un esprit de justice sociale et dans le souci du bien-être.  

La décroissance, c’est une sorte de régime pour des économies écologiquement obèses. Si on ne peut pas verdir la production (ou pas assez vite), il va falloir la réduire. Mais attention à l’amalgame entre décroissance and récession. La récession, c’est un accident économique. C’est pas voulu, pas anticipé, et ça se fait dans la douleur et la panique. La décroissance, c’est un projet de transition. On la discute et on la prépare pour qu’elle soit juste et conviviale. Récession / décroissance. 2 salles, 2 ambiances. 

Assimiler un projet complexe de changement de système à une récession, juste parce que les deux font baisser le PIB, c’est un peu comme assimiler un régime à une amputation juste parce que les deux provoquent une perte de poids. Perso, si je dois perdre 20 kilos, je préfère manger moins de burgers que de me couper la jambe. Ben là, c’est pareil : si on doit perdre en empreinte écologique, autant l’organiser intelligemment pour que ça se passe le mieux possible. 

Mais la décroissance n’est pas seulement une réduction, c’est aussi un changement de logiciel économique. Au lieu de maximiser des indicateurs financiers, PIB pour les gouvernements, profits pour les entreprises, revenus pour les individus, on viendrait satisfaire des indicateurs sociaux et écologique.  Les gouvernements préserverait des budgets bien-être ; les entreprises poursuivraient des utilités sociales ; et les individus amélioreraient un pouvoir de vivre.

Fini la logique de la maximisation, on passe à celle du contentement. Objectif : améliorer notre capacité à combler les besoins de tous sans jamais dépasser nos plafonds écologiques. On passerait d’une production par les prix et pour les profits à une production par les besoins et pour le bien-être. 

C’est le projet de la post-croissance, et là aussi j’ai une définition. Post-croissance : concept utilisé pour décrire l’idéal d’une société émancipée des impératifs monétaires où l’économie serait stationnaire en harmonie avec la nature, où les décisions seraient prises ensembles, et où les richesses seraient équitablement partagées afin de pouvoir prospérer sans croissance. Si la décroissance est un régime temporaire pour perdre du poids écologique, la post-croissance est le maintien sur le long terme d’un mode de production sain et équilibré. 

Petite précision : post-croissance veut forcémment dire post-capitalisme. Le capitalisme ne peut ni organiser sa propre décroissance, ni prospérer sans croissance, car la seule chose que le capitalisme ne peut pas vendre, c’est rien. C’est un système accumulatif qui ne sait pas s’arrêter. Comme les requins qui, pour pouvoir respirer, sont obligés de nager en permanence, le mode de production capitaliste ne peut survivre qu’en accumulant constamment.  

Donc, quel que soit le nom qu’on lui donne, toute économie écologique devra forcément sortir de la logique capitaliste. Mais elle devra aussi: redéfinir une relation respectueuse avec le monde du vivant, inventer une nouvelle définition de la richesse et de la prospérité, changer sa vision du travail et son rapport au temps, redonner de l’importance à la solidarité et à l’entraide et beaucoup d’autres choses encore.

Le message à faire passer aux économistes (et à tous ceux qui les écoute), c’est qu’inventer l’économie de demain ne consiste pas à remplir un questionnaire à choix multiple avec 2 options. capitalisme ou communisme. Tout est possible.

Je trouve ça ultra-paradoxal d’ailleurs : d’un côté, on nous vend ce culte de l’entrepreneur révolutionnaire qui think different” / “think outside of the box” / “move fast and break things.” Mais d’un autre côté, dès que quelqu’un propose un autre système économique, on l’insulte d’amish nostalgique des charrettes.

On a l’impression de vivre dans une société dynamique et progressiste, mais, en fait, on est enfermés dans le présent. Nous sommes confinés à l’intérieur de notre propre système. Et dès qu’on essaie de changer un truc, il y a souvent un économiste qui sort son tableau Excel pour nour dire que si on tente quoi que ce soit, la tour Jenga de l’économie va s’effondrer ! Déjà, c’est souvent faux. (Niveau véracité des prédictions, les économistes sont un peu près aussi fiables qu’un jeu de tarot.) Mais c’est aussi extrêmement dangereux étant donné l’urgence d’une transition écologique qui nous demande de complètement repenser l’économie dans son ensemble. 

Donc rappelons nous que tout ce qui a été socialement construit peut-être socialement déconstruit et reconstruit. L’économie est une sphère sociale malléable, et le capitalisme d’aujourd’hui n’est pas l’Everest de la civilisation humaine. 

Donc il va falloir s’y mettre. Commençons par éduquer notre désir pour des futurs beaucoup plus ambitieux que cette espèce de tapis roulant de la croissance où les rêves de demain se calculent en pourcentage des comptes en banque d’aujourd’hui. 

Il est grand temps d’arrêter de s’obstiner à vouloir relancer l’économie et plutôt d’investir massivement dans la relance de la critique de l’économie. Il grand temps qu’on se qu’on se pilule-rouge en dehors de ce système écocidaire pour aller construire une économie juste, soutenable, démocratique, et conviviale. Il est grand temps d’arrêter de prédire le futur de l’économie et de commencer à inventer l’économie du futur.